Le chrétien et les “funérailles” en pays bamileké.
Alex Djibril TSAGHO TCHIMEJI
Les funérailles et les obsèques sont des synonymes en français. Elles sont définies comme l’ensemble des cérémonies qui s’accomplissent pour l’enterrement d’une personne. Chez les Bamileké de l’ouest- Cameroun, “funérailles et obsèques” désignent deux réalités différentes. Les obsèques renvoient à la désignation des obsèques et funérailles en français, qui sont des cérémonies qui se déroulent avant l’enterement alors que les “funérailles” se déroulent après l’enterrement, ou plusieurs années.
Aujourd’hui, pour certaines raisons, les “funérailles” se déroulent juste après l’enterrement. On parle généralement de ” obsèques-funérailles”. C’est à dire qu’après les obsèques ou enterrement, on passe immédiatement aux “funérailles”.
Ces derniers temps, on parle généralement de la “célébration de la vie” qui n’est en rien différente des “obsèques-funerailles” au niveau de la croyance et de la pratique.
Car, les “funérailles” au delà de la pratique ou des festivités, sont d’abord une croyance qui obéit à une vision du monde bien précise.
Elles font partie de l’Ancestralité qui est une religion tout comme le christianisme, l’islam, le bouddhisme, etc. L’Ancestralité est une croyance bien ancrée dans les religions traditionnelles. Elles sont dites ” religions ancestralistes”, cad, qui croient aux ancêtres qui sont des intermédiaires entre Dieu (SI) et les vivants. L’Africain croit que Dieu est unique (monothéisme ontologique). Quoiqu’il ait créé le monde, Il n’entretient aucune relation avec ce dernier. Pour l’atteindre, l’Homme a besoin des intermédiaires ou des divinités inférieures. Parmi ces intermédiaires, les ancêtres occupent une place de prédilection. Ils possèdent une force vitale qui est d’ailleurs propre à tout ce qui vit, l’homme, les animaux, les herbes, les plantes, etc. C’est cette force vitale qui maintient l’équilibre des forces cosmiques. Elle permet aux ancêtres d’œuvrer auprès des vivants, car les morts ne sont pas morts. Ils changent juste de monde. Du fait de leur intervention auprès des vivants, leur force diminue et doit être renforcée à travers des offrandes et des sacrifices, de préférence sur leurs crânes ou des haut-lieux où ils sont censés résider. On note que dans la croyance, l’Africain est monothéiste. Mais dans la pratique liturgique, il est polythéiste. Ce polythéisme liturgique finit par annuler le monothéisme qui se réduit finalement a une simple affirmation sans contenu réel.
Alors, si les morts ne sont pas morts, s’ils continuent de siéger autrement au milieu des vivants, il n’existe donc pas une frontière entre le monde visible et le monde invisible, entre le sacrée et le profane. C’est pour traduire cette interconnexion, que les traditionalistes préfèrent le terme “spiritualité africaine” à la place de “religion africaine”. Car, pour eux, tout est symbole, tout a un sens. Tout nous lie aux ancêtres ou au divin. Ibrahima Sow parle des “indices révélateurs du divin”. Pour Kange Ewane, tout ce qui se trouve dans notre environnement: les cailloux, les herbes, le linge, etc., participe à la spiritualité et donc à relier l’Homme au divin. Dans cette logique, il serait impossible d’établir la frontière entre le culturel et le cultuel dans un monde vitaliste.
C’est dans cette perspective vitaliste et dynamique, que s’inscrivent les “funérailles” appelées encore “grand deuil” en pays bamileké. Elles sont organisées pour des raisons dont les principales sont:
-le repos de l’esprit du défunt: dans certaines cultures comme chez les Batagwenda en Ouganda, les portes du monde des ancêtres ne peuvent être ouvertes qu’aux défunts dont les “funérailles” ont été célébrées convenablement.
- la peur des malédictions: au cas où le repos de l’esprit du défunt n’est pas assuré par les “funérailles” bien faites, les vivants subiront des conséquences. Très souvent, lorsqu’un membre de la famille tombe malade, est victime d’un accident ou d’un échec quelconque, on évoque comme cause, l’insatisfaction du défunt du fait des sacrifices non faits, du crâne non extrait ou des “funérailles” non organisées. S’acquitter de ces rituels, est synonyme de paix et de tranquilité. Malheureusement, il n’ya point de paix pour les traditionalistes. Il n’ya pas un moment où on peut se permettre de dormir tranquillement parce qu’on est rassuré d’avoir honoré les ancêtres en ayant fait tous les sacrifices. Le jour où tu decèdes, on dira toujours après autopsie faite, que c’est la malédiction qui en est la cause. Pour éviter ceci, on voit aujourd’hui des gens faite des sacrifices au point de le faire sur des crânes ou à l’endroit des ancêtres avec qui ils n’ont aucun lien de parenté. Juste parce qu’ils ont peur d’être tourmenté par des esprits dont ils ignorent les origines et qu’on met généralement et faussement sous le couvert des ancêtres. C’est à dessein que Karl Grèbe dit que dans les religions traditionnelles, la PEUR règne en maître.
- la cohésion des forces cosmiques: l’autre raison pour laquelle les “funérailles” sont organisées, c’est le souci d’unifier les forces en présence dans la nature, y compris les ancêtres. Nous avons mentionné plus haut qu’il existe une sorte d’alchimie entre l’homme et son environnement, comme le souligne Kange Ewane. Dans la même logique, un auteur disait que “l’homme en tant que microcosme où le monde se lit tout entier, il a sa place précise dans une hiérarchie de forces et d’êtres où tout est inclus, les dieux, les animaux, les végétaux, les minéraux, tout du dieu créateur au tas d’ordures du village”. L’équilibre du cosmos est brisée, lorsque l’homme oublie qu’il n’existe pas en tant qu’individu, mais en tant que membre d’une communauté, car son individualité n’a de sens que dans la collectivité. La communauté ici inclue les vivants et les morts. Pour garder la cohésion familiale, personne ne doit se perdre. Ceux qui meurent restent représentés par leurs crânes ou des substituts culturels dans certaines tribus qui ne font pas le culte des crânes.
Quelle est l’importance d’un tel culte ou son importance dans les “funérailles”?
Chez les Bamileké, l’extraction du crâne avant les “funérailles” est fondamentale. Car l’ancestralisation est un processus qui va de l’enterrement aux “funérailles” en passant par l’exhumation du crâne qui doit se détacher du corps après un an au moins. Ce détachement a un sens chez les Koma. Il signifie que le défunt a achevé son voyage et peut maintenant jouir de son statut d’ancêtre. Ce statut est couronné par les “funérailles” qui représentent l’investiture officielle. Elles marquent la fin du deuil et inaugurent une relation d’une autre nature que les vivants entretiendront désormais avec les “nouveaux ancêtres”. Le crâne qui contient l’esprit du défunt ou sa pensée, permet désormais aux vivants d’interagir avec lui pour solliciter ses services ou son intervention auprès du “créateur inerte”.
C’est à dessein que les “funérailles” commencent toujours par les sacrifices sur les crânes à la veille par les piliers de la famille. Certains font bouillir du vin blanc dans un canaris en invoquant le nom du défunt ou les noms des défunts pour qui les “funérailles” seront organisées.
C’est ce sacrifice qui consacre ou ouvre officiellement les “funérailles” ou les festivités ou encore le côté festif des “funérailles” auxquelles prennent part souvent certains “chrétiens” sous couvert “d’actions de grâce”, je ne sais pourquoi et pour qui, surtout lorsque ces “funérailles” déguisées en “actions de grâce” sont organisées pendant les périodes requises pour les “funérailles” (de novembre à mars).
Les sacrifices aux ancêtres qui constituent le fondement même des “funérailles” étant déjà faits, toutes les nourritures apportées pour les festivités, qu’elles aient été préparées ailleurs ou sur place, sont considérées comme repas du sacrifices, car elles connectent les participants aux “funérailles”, aux esprits dits des ancêtres auxquels les sacrifices ont été faits, selon ce que Paul dit dans 1 Cor 10. 20-22″…mais je dis que les sacrifies des païens sont offerts à des démons et à ce qui n’est pas Dieu. Or, je ne veux pas que vous ayez quoi que ce soit avec les démons”.
Ceci répond à la question, doit-on manger la nourriture qui vient des “funérailles”?
L’idole est un objet matériel inerte qui en lui-même n’a aucun sens spirituel. Mais dès lors que nous le considérons comme la représentation d’une divinité et que nous lui offrons des sacrifices et offrandes, nous pratiquons de l’idolâtrie, cad de l’adoration des objets qui pour nous sont sacrés ou porteurs d’un sens spirituel. Celui qui agit ainsi, entre en contact avec l’esprit ou le démon qui se trouve incarné dans l’objet-idole. C’est de l’occultisme traditionnel par opposition à l’occultisme occidental (rose-croix, etc.).
Paul met en garde ceux qui prétendent être chrétiens, mais qui sacrifient encore aux idoles ou mangent le repas de sacrifice. Le drame est qu’ils communient après à la table du Seigneur oubliant que la sainte-cène entant que repas d’alliance, obéit au même principe spirituel.
En effet, la croix de Jésus est un autel (Heb 9.23-28). Un autel est un lieu de sacrifice. Un lieu de rencontre entre le sacrificateur et le monde spirituel ou entre le chrétien et Dieu. Jésus y a versé son sang comme sacrifice ultime pour le péché. Il a institué la Sante-cène comme repas de l’alliance qu’il a scellée sur la croix (autel) par son sang précieux. Il dit que toutes les fois où nous en consommons, nous devons nous souvenir du sacrifice offert (1Cor 11.26). C’est pour cette raison que ceux des chrétiens qui prenaient la cène sans discernement tombaient malades et certains même en mouraient.
Nous comprenons qu’autant la Cène prise sans discernement cause la mort, autant elle peut aussi causer la vie, guérir des maladies incurables si elle est prise avec discernement par ceux qui s’identifient à Christ dans sa mort et sa résurrection.
Il faut donc éviter de confondre la table des démons et la table du Seigneur.
Dans les religions traditionnelles:
Autel = crâne ou substitut, haut-lieux, rivière, rocher, arbre, etc.
Sacrifice offert= chèvre, poule, huile rouge, pistache, gâteau de maïs, etc.
Sacrificateurs traditionnels= tout dépend des familles où des tribus.
Bénéficiaires= tous ceux qui croient aux ancêtres et maintiennent une relation avec eux à travers les traditions.
Christianisme évangélique.
Autel= croix de Jésus
Sacrifice= sang de Jésus
Sacrificateur= Christ lui-même s’est offert en sacrifice comme souverain sacrificateur (Heb 9.25).
Bénéficiaires= ceux qui croient en lui et font désormais partie intégrante de la nouvelle alliance scellée par son sang.
Même si les crânes ne sont pas encore extraits au moment des obsèques-funerailles, ils le seront après. Parler déjà sur la tombe du défunt pour lui annoncer ses ” funérailles” ou procéder par un autre rituel apparemment anodin, reste significatif du point de vue cultuel et culturel. Avec ou sans crâne, les “funérailles” comme “grand deuil” ou ” second deuil” s’inscrivent déjà dans l’ancestralité et par conséquent, s’inscrivent aux antipodes de la foi chrétienne qui est centrée sur Christ ( christocentrisme) et non sur les ancêtres (ancestrocentrisme). Nous nous trouvons face à deux visions du monde opposées.
Pour l’une, les ancêtres sont les intermédiaires entre les vivants et les morts et Dieu.
Pour l’autre, Jésus est le seul intermédiaire entre les vivants et Dieu, car il n’existe aucune relation entre les morts et les vivants.
Pour les RTA, les morts ne sont pas morts.
Pour le christianisme, il est réservé aux hommes de mourir une seule fois après quoi vient le jugement (Heb 9.27). Les morts sont morts ( Ecl 9.4-6).
Pour les RTA, la notion de péché n’existe pas. On parle de mal qui n’est pas la transgression de la loi de Dieu, mais plutôt la transgression des normes ancestrales qui demande sacrifices et offrandes pour rétablir l’ordre cosmique.
Pour la Bible, le péché est la transgression de la loi de Dieu qui demande repentance, conversion et restitution si possible. Etc. Etc.
Certains posent la question de savoir si tout est spirituel dans les RTA. Les traditionalistes eux-mêmes le disent en parlant de spiritualité africaine. Pour eux, rien n’est simple, tout est compliqué. Les masques et les habits que certains initiés arborent lors des “funérailles” au delà de l’art, sont riches de symboles et permettent une communion avec les esprits des ancêtres qu’ils sont censés représenter.
Cela veut dire que tout ce que les traditionalistes font, a un sens spirituel. En tant que chrétien, je m’inscris dans une toute autre vision du monde. Avant de poser un acte culturel, j’ai besoin qu’on me donne le sens original de cet acte pourque je me rassure du niveau d’inflexion du fait des mutations humaines avant de me demander si ce que je m’apprête à faire est compatible ou incompatible avec la pensée biblique qui est christocentriste.
Beaucoup de pratiques et de croyances dans les RTA sont coupées de leurs significations originales du fait de l’oralité. Or, toute pratique qui se veut traditionnelle et qui n’est pas traçable, n’est pas traditionnelle du tout, puisque l’idée sous-jacente qui est censée en constituer le file conducteur, est ignorée.
Au lieu que les traditionalistes dépensent leur énergie pour combattre la Bible où réclamer un christianisme qui se veut africain, il est préférable pour eux de la mobiliser pour écrire leur propre tradition.
Le message de la Bible est atemporel et universel. Il s’impose à toutes les cultures qui regorgent certes des valeurs qui se trouvent déjà dans la Bible.
La Bible s’est imposée au judaïsme, aux religions à mystères et autres chez les occidentaux, comme elle s’est aussi imposée aux RTA (religions traditionnelles africaines). Malheureusement, les blancs qui l’ont découvert longtemps après les Africains (Actes 8.40) l’ont instrumentalisés pour coloniser les Africains qui confondent malheureusement à tort, Bible et colonisation ou christianisme et civilisation occidentale.
Le chrétien, celui qui croit en Christ, qui conforme sa vie à celle du Christ, qui suit Christ et vit au quotidien ses enseignements, qui a reçu Christ comme Sgr et Sauveur, qui communie à la table du Seigneur, ne doit pas faire, ni organiser, ni prendre part, ni manger la nourriture des “funérailles” telles qu’entendues en pays bamileké.
Accepter Christ c’est faire le choix entre le message biblique et l’aspect cultuel ou religieux de la culture. Comme dit Jacques Chatué: “Celui qui veut être chrétien selon les normes bibliques doit faire un choix, quoiqu’il en coûte, et un choix qui lui impose aussi de quitter une vision bien particulière du monde pour une autre, non moins particulière.”